Marielle Prévost, peinture, gravure, au Cabinet d'Estampes de Cantomheuc

Marielle Prévost

1947 -2014

Diplôme national de peinture 1972
Diplôme national de gravure 1973
Diplôme supérieur des Beaux Arts de
Paris 1975
CAPES M.B. 1972

Depuis la disparition progressive de la représentation dans ma peinture (1976), les images (abstraites) en peinture que je produis sont le résultat de questionnements successifs développés sur le processus de production – « reproduction » d’une image. Ce questionnement s’intéresse aux causes (incluant le hasard, l’aléatoire ) de l’apparition d’une image.
Le sujet de ma peinture est donc la représentation des ces causes : des codes (minimaux) : les bâtons, la ligne, les lignes, les points, les réseaux, les trames, les grilles, les quadrillages, des codes visuels, organisationnels de l’espace d’une feuille de papier qui permettraient de faire apparaître une image. Ma peinture prend donc sa vie, son existence dans le questionnement sur son existence.
… Le vrai carré est perfection (trop). Pour moi, il doit rester vide : nous ne pouvons rien construire dedans si ce ne sont d’autres carrés. Le Faux Carré est « magique », il est Aventure, il peut être harmonie et aussi perfection. Tout est possible, recherches de possibilités de construction dans un faux carré. M.P.

Marielle Prévost a réalisé une oeuvre « en secret », et pour autant, ce n’est pas une oeuvre clandestine. Bien plus préoccupée par la recherche que par l’exposition, (et la reconnaissance dont elle pouvait s’accompagner), M. ne cachait pas ce qu’elle réalisait. Au gré des rencontres, nous avons su ou vu se construire les gravures, les peintures, les dessins, et se succéder sans relâche les teintures, les impressions et les coutures, ou encore toutes sortes d’albums ou de carnets se remplir, pour constituer au fil des années, solidement, son oeuvre.

Ouvrir et parcourir les carnets, contempler à nouveau certaines gravures et peintures, choisis pour l’exposition de Cantomheuc, et puis en découvrir d’autres – peut- être jamais montrés ? – m’a beaucoup touchée. Il m’importe de formuler cette émotion pour la partager, et plus largement témoigner de ce que m’inspire « l’exposition en son absence »…

…Ce « continuum » nous oriente vers le principe sériel dont la recherche musicale est traversée à ce même moment. Compositions visuelles, chorégraphiques ou sonores répétitives sont alors structurées par la même pensée (Ensembles de « cellules » associées en progressions dynamiques, en trames évolutives). Dans le champ plastique, Marielle P. explore les possibilités spatiales de la gravure : celles du geste réitéré, du multiple et des symétries …

… Opulence des courbes et des boucles, jouissance du motif répété, de l’ornement, comme dans les bijoux choisis et portés en nombre à chaque doigt, et dont le poids n’a jamais gêné la maîtrise du crayon, du pinceau ou des burins. Marielle écrit, enlumine, change d’échelle avec aisance.
Sa disponibilité créatrice reposant sur une attention de chaque étape, tout choix, d’un support à la teinte et le grain d’un papier, fait l’objet d’un examen approfondi…

Sa disponibilité créatrice reposant sur une attention de chaque étape, tout choix, d’un support à la teinte et le grain d’un papier, fait l’objet d’un examen approfondi…
… Marielle travaillait, beaucoup, mais pas en marginale solitaire. Gravures, peintures, recherches textiles prouvent sa connaissance des questionnements contemporains, et les références sont assumées, avec liberté et distance. L’œuvre très élaborée, peut aller sans trembler de la sobriété la plus exigeante à la débauche colorée fracassante : une jubilation contagieuse des accouplements chromatiques, où l’on savoure avec gourmandise les contrastes soigneusement dosés, les couleurs poussées au maximum de leur saturation.
Dans cet excès, le nombre, la duplication, la réplication et le morcellement jouent leur rôle. Cases, cellules, modules, signes, circuits, résilles et réseaux, croix et croisements, bifurcations aménagent des territoires plus vastes que ses feuilles. Mais imperceptiblement, la partition se dérègle.

Alors que dominent formes carrées et repères orthogonaux, on s’immerge dans le fourmillement des signaux, des atomes en dérive, en un paradoxal effet de houle. Devant les myriades de pastilles nacrées, on hésite entre les sensations de vertige et d’éblouissement, comme celles provoquées par l’épuisement de tourner sans fin sur soi-même, lorsqu’on danse. On se fait complice de notre étourdissement, de notre «déroute immobile», de notre égarement dans ses itinéraires labyrinthiques, denses et foisonnants.
Aventure sans catastrophe : il subsiste toujours ici ou là, des « bords », des marges, des plages où se tenir, des berges où reprendre pied, même dans les « all over », ses marées hautes !
Quelles contrées ont façonné le territoire où nous accueillent les œuvres de M.P ?

Les objets artistiques et ordinaires, quotidiens dont Marielle s’entourait venaient de tous les continents, sans exclusive. Ses bijoux anciens ou neufs, de valeur ou de pacotille, les étoffes ou les tapis lui ont fourni matière à rêver, penser. Mais peut-être aussi, les problématiques nouvelles, autour de la génétique -je pense aux broderies sur textile- et des nouvelles technologies-les circuits, visibles ou non – ? Mais antérieurement, sa géographie personnelle serait-elle liée à la Bretagne et sa palette colorée, à ses reliefs immergés ou pas, au gré de la pulsation maritime ?

Certains de ses « boucliers » portent les marques conjuguées de l’Océanie et de la civilisation Celte… Marielle a écrit qu’à un moment, elle n’a plus senti la nécessité de la figuration pour continuer à créer. Il me semble en fait, que les silhouettes et les sexes gravés étaient déjà investis de bien autre chose que la sensualité et l’érotisme dont ils débordent.

En passant de la figuration à la figure, aux figures, des signes sexuels distinctifs à la reproduction cellulaire, Marielle a dépassé des catégories sans utilité pour son cheminement, comme l’opposition figuration/abstraction par exemple. Elle a placé « l’engendrement » au cœur de son travail. Ce faisant, elle modifie notre point de vue, évoluant de la proximité frontale et de ses perspectives – les femmes-paysages du début -, au surplomb cartographique plus distant des œuvres suivantes, voire à la plongée dans le prélèvement microscopique.

Désormais invisibles, les corps ont toujours leur place dans ce parcours, corps agissant dans les gestes et directement, avec ses doigts, dont M. « sème » les empreintes, et corps animé dans la déambulation pour le spectateur.
Déplacement physique d’une œuvre à l’autre ou mental au sein de l’œuvre contemplée, voici nos corps invités à une « lévitation »  peut-être suggérée, et déjà consentie.

Il faut souligner en outre la particularité non négligeable dans les années 70, qu’une femme se saisisse – et avec quelle joyeuse liberté ! – d’une thématique alors majoritairement abordée par les hommes. Dans l’évolution de nos contributions respectives (H&F) à la vie collective, à la création artistique, l’œuvre de M.P. doit absolument avoir sa place.

Cela n’a rien à voir avec la quête d’une hypothétique reconnaissance posthume – sauf à vouloir déclencher encore une fois chez Marielle une de ses immenses rigolades !


Extraits de Notes « en lisière»

Christiane Deville

janvier 2018